
La France humiliée | Une Chronique de Adama Gaye
Quand le professeur Marcel Merle fut, à la Sorbonne, le grand gourou de l’enseignement de la coopération française en Afrique, pas une fois ne l’y ai-je entendu parler des dessous de celle-ci. Ni de ce pacte postcolonial par lequel son pays continuerait d’avoir la mainmise sur ses anciennes colonies africaines, une fois leur décolonisation actée sur le principe. Ni des dettes coloniales qui les tenaient à sa merci. Ni, en réalité, de ce que la colonisation restait, sous une autre autre forme, l’habit qui couvrait toujours les relations de Paris avec l’Afrique.
En déclarant hier qu’elle rappelle son ambassadeur Sylvain Ytte en plus de mettre fin à sa coopération avec le Niger, la France effectue un virage complet, humiliée et réduite à néant, dans une réplique de ses déroutes antérieures, qu’elle a subies de Dien Bien Phu, Alger. Ouradour sur Glane, Waterloo, et tous les autres terrains de batailles militaires. La France courbe encore l’échine. En habituée des guerres perdues.
Le pire pour une nation qui revendique un statut de puissance est de se dejuger. Or, en clamant urbi et orbi ces dernières semaines qu’elle ne quitterait pas le Niger sauf à la demande de ceux qu’elle estime être ses dirigeants légitimes en plus d’y faire rouler les tambours d’une guerre régionale qu’elle appelait de ses vœux, insistant, de surcroît, que son ambassadeur resterait sur place qu’il vente, pleuve ou neige, on la croyait déterminée et apte à faire entendre la voix de la puissance.
Que nenni. C’est la queue basse, entre les pattes, la voix de son chef de guerre, aussi nazillarde que capitularde, qui est projetée. Avec son Président, Emmanuel Macron, soudain devenu une poule mouillée.
La cocardière France n’offre plus que le spectacle d’une nation qui abdique en rase campagne.
Les manifestations des foules pauvres, en haillons, dans les rues de Niamey, le rejet de ses méthodes néocoloniales par un monde qui, choqué, découvrait leur nature, son écrasement conceptuel par une intelligentsia africaine qui l’a déconstruite, sans compter la brutalité disruptrice de la techtonique de l’information digitale ont eu raison des ultimes résistances, des coups de menton, bref du projet de perpétuation coloniale que ses plus farouches défenseurs, Macron en tête, rêvaient d’entretenir.
Qu’on ne s’y trompe pas: rien ne sera plus comme avant. La France a baissé pavillon en Afrique. Ailleurs, son déclin est intégré par les marchés de la bourse géopolitique. Elle n’est plus qu’un vieux lion édenté aux griffes élimées.
Ce que, contraint et forcé, l’arrogant et méprisant, sans raison, le dirigeant actuel de la France, se situant à contre-courant de la marche de l’histoire et ignorant ce déclinisme exorbitant qui frappe son pays, pensait encore possible, lui est revenu en pleine gueule.
C’est en cela qu’il a dû concéder plus qu’une reculade banale mais le ravalement total de la FranceAfrique qui s’accélère.
Le pauvre ! Qui devient conscient enfin qu’il n’y a plus d’espace pour manœuvrer au maintien de ses illusions impériales -révolues !
En 1946, en créant la communauté Française, puis en mettant en place en 1956 les politiques d’autonomie de ses colonies sous les lois Deferre, du nom de son ministre des colonies, Gaston Deferre, la France gaullienne avait réussi à masquer ses entrechats. Les indépendances ne furent accordées, en 1960, que pour mieux ferrer les territoires africains. Paris voulait partir pour mieux rester. A la différence des autres puissances colonisatrices…
Ce fut sous le forcing moral d’un traité signé sur les côtes de Terre Neuve au Canada en 1941, entre le Britannique Winston Churchill et l’Américain Franklin Roosevelt que l’impératif de la décolonisation fut adopté comme l’une des mesures morales, sur fond de redéfinition de l’architecture internationale de l’après deuxième guerre mondiale.
Sortie ruinée et défaite de ce conflit malgré ses efforts pour apparaître en victorieuse, la France n’a eu de cesse de vouloir se poser en puissance planétaire incontournable.
Sous ses pieds, ses rêves de grandeur se dérobent. Elle est rejetée et condamnée, démasquée: ses journalistes, plus espions qu’informateurs, opérant à Rfi et France 24, identifiés et discrédités; ses diplomates chassés tels des malpropres; ses militaires pris pour cibles et obligés de lever l’ancre; son président moqué pour ses foucades verbeuses et ses palinodies diplomatiques à deux balles comme lors de son sommet clownesque de Montpellier. Son joug sur les économies des pays francophones, notamment leur monnaie, ne peut plus tenir.
Pendant ce temps, son économie s’effondre et sa place indue, obtenue par charité à la fin de la deuxième guerre mondiale pour siéger au conseil de sécurité de l’Onu, de moins en moins justifiée.
Le défi qui se pose à elle, en Afrique francophone, est de s’adapter à l’aggiornamento, profonde et irréversible lame de fond, qui s’y déploie sans chercher à la détourner de ses objectifs voulus par des peuples debout.
Elle peut cependant vouloir rester dans ses habituels travers en se croyant plus maligne.
Ce qui serait peine perdue tant la violence des vents qui soufflent n’offre plus de ce genre de lattitudes qui lui permirent d’être à la manœuvre dans des coups d’état militaires ou civils pour placer ses hommes et politiques sur de pauvres pays, dans la pure tradition initiée par Jacques Foccart; d’y exercer une politique de la canoniere comme à Kolwezi en 1978 pour le contrôle du cobalt ou, transformée en Empire à l’époque sous sa bénédiction, en République Centrafricaine pour ses minerais; ou encore de pirater les aspirations prodémocratiques des peuples africains ainsi que le fera François Mitterand à la Baule en Juin 1990.
Les vents ont tourné. L’Afrique veut sa vraie décolonisation politique, militaire, monétaire, culturelle, sociale.
La gifle que la France a reçue hier d’un pays sahelien, le Niger, dont elle a continûment pillé les ressources stratégiques serait d’une grande utilité si elle sert à lui faire voir la nouvelle réalité africaine.
Adama Gaye,
exilé politique Sénégalais,
est un diplômé de coopération et développement de l’université Pantheon-Sorbonne.
